Discours de l’auteure à l’occasion de la remise du Prix du livre européen 2018
« Bonsoir à tous und guten abend an allen,
Je voudrais d’abord remercier tout ceux qui ont permis à ce livre de voir le jour. A mes parents biens sûr, à mon éditeur de chez Flammarion Patrice Hoffman qui a porté le livre a bout de bras pour le faire exister bientôt dans huit langues européennes dont l’allemand, l’italien, l’espagnol, le néerlandais, l’anglais bien sûr. Je remercie mes éditeurs allemands Joachim von Zeppelin et Christian Rusziska de Secession Verlag qui ont travaillé d’arrache pied pour faire naître une nouvelle version du livre très enrichi et actualisé qui vient de sortir en Allemagne et sortira bientôt en poche en France. Je remercie Stéphanie Thomas de m’avoir présenté Louise Decamps sans laquelle je ne serais probablement pas ici ce soir. Et Merci bien sûr à France Roque, Marie Riber, à toute l’équipe du prix européen pour leur engagement indéfectible.
Je n’aurais pas pu imaginer un prix mieux adapté pour ce livre qui est le fruit d’une éducation franco-allemande dans une Europe éclairée, et qui je l’espère donnera quelques clés pour défendre cette Europe-là contre ceux qui veulent l’éteindre.
Quelle meilleure ressource que la mémoire pour reconquérir le terrain identitaire en Europe?
Nos mémoires européennes sont certes éclatées, parfois même contradictoires, ce qui rend difficile la formation d’une identité commune. Toutes ont le droit d’exister. Mais dans cette diversité, il y a un dénominateur commun : nous tous avons fait l’expérience de dictatures et d’idéologies totalitaires qui ont voulu imposer une seule et même identité aux hommes pour servir la folie d’une idée meurtrière. Nous tous en tant que peuples avons fait l’expérience de la souffrance mais aussi du danger du conformisme, de l’aveuglement et de l’opportunisme.
L’histoire ne se répète pas, mais les mécanismes socio-psychologiques restent les mêmes qui dans un contexte de crise poussent des individus et une société à basculer dans l’irrationnel et l’arbitraire, à devenir les complices de régimes criminels.
C’est cette mémoire-là, celle de notre propre faillibilité en tant qu’individu, qu’il faut transmettre aux citoyens européens, et surtout aux jeunes générations, pour forger leur sens des responsabilités individuelles, indispensables dans une démocratie. Pour les armer aussi de discernement face à des techniques de manipulation qui aujourd’hui ressemblent à s’y méprendre à celles déployés il y a un siècle : entretenir le flou entre le vrai et le faux, semer la peur et la méfiance entre la populations et les dirigeants, réécrire l’histoire, flatter l’égo des peuples. Ces techniques sont particulièrement efficaces dans une période d’incertitudes majeures comme la notre, où nos repères identitaires, notre ancrage moral et notre mémoire sont fragiles. Dans ce vacuum, il est alors facile d’imposer une nouvelle identité, de désigner des coupables et d’inverser notre système de valeurs.
La mémoire des erreurs passées permet de responsabiliser le citoyen et de le rendre vigilant.
Néanmoins, nous Européens ne pouvons pas vivre que de mémoire négative.
Nous avons aussi besoin d’être fiers du passé. Ce terrain-là, il ne faut l’abandonner aux populistes. Mais rendre aux Européens, aux jeunes, la fierté d’appartenir à un continent dont les peuples ont su par deux fois vaincre les totalitarismes, en 1945 et en 1989, et à la sueur de leur front ont construit la démocratie et rendus aux citoyens leur dignité.
Commémorer les victimes du fascisme et du communisme comme l’Union européenne le fait le 27 janvier est important. Mais cela ne suffit pas. J’invite le parlement européen à puiser dans la mémoire pour non pas victimiser les citoyens mais leur transmettre le sens de leur pouvoir et de leur devoir dans une démocratie. J’invite le parlement à célébrer un continent qui a réussi de manière miraculeuse à renaître des ses cendres. J’invite le parlement à redonner envie d’Europe. »