La main de Joseph Castorp

Joao Ricardo Pedro

Informations générales

224 pages
Editions Viviane Hamy
2013

Biographie de l’auteur

João Ricardo Pedro, né près de Lisbonne en 1973, était ingénieur dans les télécommunications. Il commença à écrire quand il fut licencié. La Main de Joseph Castorp est son premier roman, il a obtenu le Prix LeYa 2011, l’un des plus prestigieux du Portugal où il a déjà séduit de nombreux lecteurs. Le reste de l’Europe découvre, à son tour, un très grand écrivain.

Présentation de l’éditeur

Tout commence au lever du soleil.

Dans un village portugais au nom de mammifère, un homme armé disparaît. Au même moment, à Lisbonne, le vent tourne : la révolution des œillets met fin à la dictature.
Mais où a pu se rendre l’insaisissable Celestino ? Le docteur Augusto Mendes détient probablement la clé de l’énigme qui nous mènera jusqu’en Argentine en passant par Vienne et d’autres villes d’Europe. Les lecteurs suivront, fascinés, l’histoire de ce dernier et celle de sa famille, en commençant par Antonio, son fils, revenu traumatisé de ses deux missions en Angola ; puis Duarte, son petit-fils, pianiste surdoué, qui incarne tous les espoirs de ses proches et se livre aux facéties de la jeunesse…  La Main de Joseph Castorp est le portrait d’une famille marquée par les années de tyrannie salazariste, la répression et la guerre coloniale. Ses secrets, ses mystères, ses joies se dessinent au rythme de l’Histoire, tragique parfois, somptueuse toujours, du Portugal, et composent une symphonie inoubliable.

Extraits
« Une chose semblait certaine : le vingt-cinq avril mille neuf cent soixante-quatorze, bien avant sept heures du matin, Celestino attacha sa cartouchière à sa taille, mit son Browning en bandoulière, vérifia son tabac et le papier à cigarettes, oublia sa montre accrochée au clou qui retenait également un calendrier, et sortit. Le ciel commençait à s’éclaircir. Ou peut-être pas. En plus des mouillettes au café au lait, Celestino s’était envoyé sans mal deux gorgées de gnôle. La première, pour les aigreurs d’estomac. La seconde, pour les pensées cafardeuses, car c’était, comme le suggérait toute sa physionomie, un homme enclin aux mélancolies prolongées.


Aux environs de onze heures du matin, ceux qui vivaient au rythme de la cruelle arithmétique des boisseaux, clisses, moissons, lunaisons, du paludisme, des marées et des gelées n’avaient encore ressenti aucun vent de changement. Dans les champs, hommes et mules déchiraient la terre en d’irrépréhensibles géométries, pendant que dans la pénombre des étables, bercées par des litanies que tissaient seules leurs lèvres, les femmes remplissaient les mangeoires des porcs, des chèvres, de leurs enfants. Et si quelqu’un avait eu le culot d’interrompre leurs pénibles besognes pour leur annoncer qu’en ce moment précis le président du Conseil des ministres du Portugal se trouvait retranché dans une caserne de Lisbonne, encerclé par des soldats qui exigeaient sa reddition, il aurait sûrement obtenu, en guise de réponse, un regard d’une indifférence absolue.[…]

Quand dona Laura vit la maison se remplir de bouches à nourrir – et pressentit que cette histoire de coup d’État était une affaire qui prendrait du temps -, elle se hâta en direction de la basse-cour, d’où elle revint armes et cadavres à la main, avec les deux premières victimes de la révolution. Et deux heures de l’après-midi n’avaient pas encore sonné lorsque, dans un exercice ostensible de pouvoir, comme si elle voulait clairement afficher que quoi qu’il se passât dans le pays, là, à la maison, tout resterait pareil, elle débrancha la radio et la télévision, ouvrit les portes-fenêtres qui donnaient sur le jardin et annonça que la canja était servie. »

Critiques

 « Le jour où Celestino disparaît est celui où le Portugal, dans la stupeur, apprend ce qu’on appellera un jour la «révolution des œillets». Il y a forcément un rapport. Le premier roman de Joao Ricardo Pedro, publié l’an dernier, et qui a consacré son auteur comme une des nouvelles grandes voix de la littérature lusophone, pourrait se lire comme une manière de différer indéfiniment la réponse à cette question, tout en y répondant, de fait, par une remontée dans quarante années de mémoire familiale et d’histoire nationale. Et le lecteur, définitivement envoûté par le diabolique Joao Ricardo Pedro, de se cramponner au livre en courant jusqu’à la fin, en espérant que lui sera longtemps conservé le plaisir de l’attente.» Alain Nicolas, L’Humanité, 22/08/2013

« João Ricardo Pedro (né en 1973) signe ici un superbe premier roman, charnel et profond, où les péripéties des guerres et de la politique marquent les hommes, les font avancer ou les enterrent dans le silence des vies oubliées. » Gilles Heuré, Télérama, 2/10/2013

« On dirait le Sud. Le début de La Main de Joseph Castorp, premier roman du Portugais João Ricardo Pedro, littérairement, rend un son familier. Sur le ton de la chronique, «un petit village au nom de mammifère, coincé au pied de la montagne de Cardunha» vaque à ses affaires de village, cependant que la patrie vire de bord. Les militaires font tomber le gouvernement de Marcelo Caetano. Nous sommes le 25 avril 1974, les événements passeront à la postérité sous le nom de Révolution des œillets. Dans la noble demeure du docteur Augusto Mendes, on s’intéresse à la politique, en termes imagés…En réalité, João Ricardo Pedro a une manière de nous faire perdre le nord qui n’appartient qu’à lui… Parfois, João Ricardo Pedro (un ingénieur qui s’est mis à écrire quand il s’est retrouvé au chômage) s’amuse avec le temps : la vie entière de la grand-mère contractée en quatre pages. Et en dix, dilatée heure par heure, par le menu, une journée dans la vie de la mère de Duarte. Un regard de chat, probablement. » Claire Devarrieux, Libération, 31/10/2013

« Une fresque pointilliste du Portugal actuel, aux prises avec les fantômes de son passé…
Dans ce premier roman, conçu comme un puzzle où chaque chapitre a la stricte économie d’une nouvelle, Joao Ricardo Pedro ose, à travers le regard de trois générations de Mendes, une fresque pointilliste du Portugal contemporain, déchiré entre les fantômes du passé et un présent qui n’existe que s’il parvient à les mettre à distance… Jamais dissipées, les zones d’ombre sont le moteur d’une intrigue dont les rebondissements ont des allures de pièges borgésiens, scénarisés pour un Buñuel moderne. La geste étonnante, née du banal le plus cru pour camper une identité aussi torturée qu’impérieuse, fait de cette
Main de Joseph Castorp un roman envoûtant. Les connexions qui s’établissent dégagent une énergie brute dont chacun reçoit le choc sans précaution. Mais sitôt le livre fini, même s’il sait qu’il n’y trouvera pas de rassurants dénouements, le lecteur n’a qu’une envie : replonger dans l’œuvre, tant l’écrivain sait rendre cette vision littéraire du Portugal moins une énigme qu’une allégorie inépuisable. » Philippe-Jean Catinchi, Le Monde, 14/11/2013