Raffaele Simone
Informations générales
415 pages
traduit de l’italien par Christophe Mileschi
Arléa
Octobre 2013
Biographie de l’auteur
Raffaele Simone est linguiste, philosophe et essayiste. Ses deux derniers essais traduits en français, Pris dans la toile et Le Monstre doux, ont été publiés chez Gallimard. Les Passions de l ’âme est son premier roman.
Présentation de l’éditeur
Ce roman relate les derniers mois de l’existence de René Descartes. Invité à Stockholm par la reine Christine de Suède, à l’apogée de sa gloire (son pays sort vainqueur de l’interminable guerre de Trente Ans), le philosophe se lance dans un voyage éprouvant vers la Suède, au seuil d’un hiver terriblement rigoureux.
Les premières rencontres avec la reine tournent mal. Descartes, peu rompu à l’art de la conversation mondaine et des frivolités de cour, s’avère maladroit et Christine se révèle changeante et capricieuse: Descartes n’était qu’une proie qui, une fois conquise, l’ennuie aussitôt.
En plusieurs mois, la reine ne lui accorde que quelques entretiens décevants, au cours desquels elle marque une totale indifférence aux idées du penseur, préférant le pousser à écrire une pièce en vers à sa gloire ou pour participer (en tant que… danseur) à un ballet où elle-même tiendra l’un des rôles principaux.
La morosité et la solitude du séjour de Descartes en Suède sont heureusement agrémentées par les rencontres avec un peintre et poète espagnol, l’énigmatique et séduisant Machado, lui aussi convié à la cour en pure perte.
Les Passions de l’âme, formidable roman épistolaire, entre- mêle avec une délicieuse habileté des textes authentiques (la correspondance de Descartes) ou apocryphes, mêlant le vrai et le faux, le dit et le non-dit, dans un souffle magistral. L’auteur « comble les lacunes », comme il le dit lui-même dans l’avis au lecteur, et joue d’une imagination érudite, dessinant ainsi un portrait saisissant du philosophe et de sa pensée en mouvement.
Extraits
« II. Monsieur Descartes à la Reine Christine
La Vénération ou Respect est une inclination de l’âme non seulement à estimer l’objet qu’elle révère, mais aussi à se soumettre à lui avec quelque crainte, pour tâcher de se le rendre favorable.
Les passions de l’âme, article CLXII
Egmond-Binnen, 26 février 1649
Madame,
S’il arrivait qu’une lettre me fut envoyée du Ciel, et que je la visse descendre des nues, je ne serais pas davantage surpris, et ne la pourrait recevoir avec plus de respect et de vénération que j’en ai éprouvé en recevant celle qu’elle a plu à votre Majesté de m’écrire. Mais je me reconnais si peu digne des remerciements qu’elle contient que je ne les puis accepter que comme une faveur et une grâce, dont je demeure tellement redevable que je ne m’en saurais jamais dégager.
L’honneur que j’avais auparavant reçu, d’être interrogé de la part de Votre Majesté par Monsieur Chaunut concernant le Souverain Bien, ne m’avait déjà que trop payé de la réponse que j’avais faite. Et depuis, ayant appris par lui que cette réponse avait été favorablement reçue, cela m’avait si fort obligé que je ne pouvais pas espérer ni souhaiter rien de plus pour si peu de chose ; particulièrement d’une Princesse que Dieu a mise en si haut lieu, qui est environnée de tant d’affaires très importantes, dont elle prend elle-même les soins, et de qui les moindres actions peuvent tant pour le bien général de toute la terre, que tous ceux qui aiment la vertu se doivent estimer très heureux dès lors qu’ils peuvent avoir l’occasion de lui rendre quelque service. Et pour ce que je fais particulièrement profession d’être de ce nombre, j’ose ici protester à Votre Majesté qu’elle ne saurait rien me commander de si difficile, que je ne sois toujours prêt à faire tout mon possible pour l’exécuter ; et que si j’étais né Suédois ou Finlandais, je ne pourrais être, avec plus de zèle, ni plus parfaitement que je le suis, etc. » p.12-13
«Journal de Monsieur Descartes
Ici aussi, à Stockholm, je suis entouré de gens qui me veulent portraiturer. Machado dit souvent qu’il me voudrait mettre en pose, encore qu’il soit trop pris par sa recherche de sujets pour la peinture de la Maison Chanut pour s’occuper vraiment de ce projet. L’autre jour est venu me rendre visite David Beck de Delft, le peintre de cour, que la Reine envoyait me demander si je voulais poser pour lui. Beck, un Hollandais au nez rouge et spongieux, élève de Van Dyck, fait preuve d’une insistance qui confine à l’impertinence et vous assomme de ses incessantes répétitions. Il a sorti une mallette de sachets de couleurs pour me faire voir les matières avec lesquelles il travaille, il a voulu m’illustrer les qualités de chacune et même tenu à me les faire flairer : son outremer, qui vient de Bruges, est le meilleur du monde, tant il est vrai que c’est celui dont use Poussin ; il fait venir son rouge de Tunisie, il moud son blanc lui-même et la tonalité qu’il obtient serait parfaite, dit-il pour rendre ma chemise ; ses huiles, enfin, sont fluides et légères, et ses pinceaux, qu’il a portés à mon visage presque jusqu’à m’en fourrer les narines, les plus souples et sensibles qui se puissent trouver. » p.137
Critiques
« En septembre 1649, René Descartes quitte la Hollande pour se rendre à Stockholm où, invité par la reine Christine, il passera les derniers mois de sa vie (il meurt en février 1650). Peu habitué au froid de l’hiver scandinave, le grand philosophe se rend compte très vite de l’inutilité de ce voyage auprès d’une jeune reine volubile et dédaigneuse. Confronté à la solitude et aux intrigues de la cour, il trouvera un peu de de réconfort dans son amitié avec un peintre espagnol et dans sa correspondance avec la fascinante Elisabeth de Bohême. Surtout, bien que séçu et inquiet , il continue de réfléchir jusqu’à son dernier souffle aux passiosn qui affectent l’âme des hommes. Pour sa première incursion dans la fiction, Raffaele Simone – connu en France pour son percutant essai Le Monstre doux (Gallimard, 2010) – choisit un savant et très original motage épistolaire à plusieurs voix. En faisant alterner la vraie correspondance de l’auteur du Discours de la méthode avec des lettres apocryphes et des pages de journaux intimes, le linguiste italien réalise un véritable tour de force stylistique.
Les Passions de l’âme est un roman ambitieux, riche et élégant, qui propose un regard original sur Descartes, mais aussi une réflexion subtile sur les relations entre culture et pouvoir. »
Fabio Gambaro, Le Monde des Livres
« Christine et René, un malentendu boréal
(…) En évoquant sous la forme d’un roman épistolaire particulièrement brillant la rencontre entre la reine et le philosophe, rencontre réduite à quelques conversations très matinales (à cinq heures du matin !) pendant l’automne 1649 et le début de l’hiver 1649-1650, sous le regard soupçonneux d’espions plus ou moins malveillants (le château tout entier semble panoptique, où les moindres faits et gestes sont enregistrés et rapportés à qui de droit), il donne une image extraordinairement vivante de cette impossible amitié.
(…) Parce qu’il connaît bien la peinture, le romancier italien imagine une amitié en revanche très sincère et profonde avec un artiste espagnol venu peindre des fresques consacrées aux amours de Zeus. Descartes et la reine Christine furent en effet abondamment représentés par des peintres (de frans hals à Sébastien Bourdon). Des lettres à Elisabeth de Bohême, le journal (fictif) de Descartes, des lettres de Mme Chenut, la femme de l’ex-ambassadeur de France, ou de prêtres, savants et philosophes, complètent le récit, ainsi que quelques missives de la reine à son amie de cœur, Ebba Sparre, et à quelques confidents. »
René de Ceccaty, L’Humanité, 10/10/2013