Oublier trahir puis disparaitre

Camille de Toledo

Informations générales

224 pages
Editions Seuil
Janvier 2014

Biographie de l’auteur

Camille de Toledo est né à Lyon. Il s’est fait connaître par la parution en 2002 d’Archimondain, jolipunk (Calmann-Lévy), Il a publié dans la même collection, Le Hêtre et le Bouleau. Essai sur la tristesse européenne (2009) et Vies potentielles (2011). Sous d’autres noms, Alexis Mital, Oscar Philipsen, il est également réalisateur et musicien.

Présentation de l’éditeur

L’histoire d’une traversée par un des grands artistes de la nouvelle génération

Dans un train, un homme et un enfant traversent l’Europe. Le train les mène d’un siècle à l’autre. Le XXe siècle derrière, le XXIe siècle devant. Dehors, défilent plaines, forêts, champs, villes et rivières qui bientôt auront changé de nom. L’homme et l’enfant ne parlent pas la même langue. Quelle histoire les relie ? Le long des rails : des valises ouvertes, des habits éparpillés… Ce n’est pourtant ni la guerre ni l’exil qui sont la cause d’un tel endettement. Entre les rangées du wagon, s’avance le Semeur : celui qui a la charge de délivrer les passagers de leurs vies passées. Il balance ce qu’il trouve : sacs, habits, petits souvenirs emportés à l’heure du départ. Le tout achève sa course, sur les pierres, le long des ballasts, dans la poussière…
Oublier, trahir, puis disparaître est un conte du XXIe siècle, où le lecteur découvre petit à petit le sens du voyage : une traversée où un homme d’âge mûr cherche à transmettre, plutôt qu’une mémoire, l’énergie de l’oubli et des métamorphoses.

Extraits

« L’Europe a interdit la guerre, Elias, puis elle a interdit la mort.

C’est pour ca qu’ils sont là, si vieux, dans ce voyage.

Ils profitent de ce qui leur reste d’argent, d’épargne, d’assurance pour importer des jeunes filles fraîches aux yeux doux afin e leur déléguer la tâche de les nettoyer, de les bercer, alors qu’ils perdent, petit à petit, la sensation de vivre.

C’est grâce à elles, grâce aux jeunes filles graciles d’Asie qu’ils ne meurent plus. Ca te fait rire, Elias, car je dis oïshrohûm, les obsolescents » p.51

« J’ai été atteint, Elias, par cette maladie de l’Europe.

Ni attiré par les épopées macabres du vingtième siècle, je veux dire, ce qu’elle pouvait encore inspirer comme fiction, ni apte à écrire des noms tels que Batman, Superman ou Godzilla à côté de Primo Levi ou Imre Kertész, je peinais à être dans mon temps. Pas assez cynique pour complaire aux anciens en écrivant une épopée de l’absence, pas assez impudique pour évoquer le destin de mes ancêtres ou de mes disparus, mais incapable de partager le ricanement citationnel, la complicité kitsch, la postmodernité outrancière de mon époque, je n’avais pas de terre, pas de langue, pas de pays, pas de passé. Où écrire, Elias, était ma question et elle devenait obsédante, car il y en avait tant d’autres dissimulées derrière elle : Où vivre ? Comment quitter son temps ? » p.90

«  Chez les écrivains, comme chez les bourgeois, on tend à préférer ce qui demeure : la langue, l’argent, ce sont de vieux plis, une même passion de ce qui se transmet. Mais il en va de l’argent comme de la langue. Si les vieux plis ne sont pas brusqués, tout finit dans la poussière.

Les services à thé, les parquets centenaires, les broderies hongroises, ce sont des formes cristallisées du temps qui ne valent plus rien. Et la langue, ma langue, en devoir de servir, elle aussi meurt d’être conservée, comme l’argent, comme la mémoire. » p.109 

Critiques

« En lisant le conte en vers libres de Camille de Toledo, on pense à la petite Jehanne de France du Transsibérien de Cendrars, que le poète faisait voyager en 1913 et qui ressassait son inquiétude lorsqu’elle traversait ces plaines qui bientôt exploseront : «Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de l’Europe ?» Les trains n’ont ensuite pas cessé de traverser l’Europe, d’en symboliser et d’en dater les tragédies. Et Camille de Toledo espère rompre avec cette histoire du XXe siècle de la coupure et de culpabilité, siècle qui ne veut pas mourir obsédé par sa propre fin…

S’il entremêle encore essai et fiction, roman et poésie, Camille de Toledo resserre ici la forme dans un texte qui a la puissance d’évocation métaphorique du conte et l’épaisseur complexe du mythe, et dont il faudrait explorer une à une les strates fascinantes. » Victor Pouchet, Le Magazine Littéraire, février 2014

« Oublier, trahir puis disparaître est traversé d’intuitions fulgurantes, assemblant en un tableau saisissant les images de ce siècle infâme: les valises ouvertes des prisonniers, les corps semés, le pont, et l’icône muette de Bruce Lee. Que fera Elias, qui parle une langue inconnue, de cette table rase ? Peut-on rompre la transmission d’un passé empoisonné ? Un conte dans le conte suggère une réponse. »
Alain Nicolas, L’Humanité, 23/01/2014