L’idée d’une tombe sans nom

Sandrine Treiner

Informations générales

160 pages
Editions Grasset
Octobre 2013

Biographie de l’auteur

Historienne de formation, ancienne élève de Michelle Perrot, Sandrine Treiner a coordonné le Livre noir de la condition des femmes. Imprégnée d’histoire des idées et de littérature, elle est notamment l’auteur d’une anthologie de textes sur Odessa et la mer Noire. Elle est directrice adjointe de France Culture en charge de l’éditorial.

Présentation de l’éditeur

« Ne venez pas. Nous nous sommes trompés ». Manya Schwartzman, jeune révolutionnaire, quitte sa terre natale, la Bessarabie, pour construire le socialisme en Union soviétique et disparaît en 1937 dans les grandes purges staliniennes après ce dernier message aux siens. Pour traverser le fleuve, elle s’est émancipée des archaïsmes du monde juif, de son pays, de sa condition sociale. La Révolution n’était pas une pensée pour elle, mais une nécessité vitale.

Parce que l’idée d’une tombe sans nom lui déplaît, Sandrine Treiner mène l’enquête pour arracher son héroïne à l’anonymat des fosses communes. Voyage dans des territoires et des idées perdues, au cœur des steppes ensoleillées baignées par la mer Noire, ce récit est d’abord une réparation. Et une rencontre avec Manya S., héroïne déterminée et trahie, rendue à la vie et, par ces lignes, à son engagement et à sa lucidité.

Extraits
« Le 2 décembre 1917, la Bessarabie, de ses terres enclavées du centre jusqu’à la mer Noire, se proclame République démocratique de Moldavie et s’affranchit de l’Empire russe. La guerre civile est aux portes. Des troupes militaires et des bandes pillent la campagne. Les bolcheviks tentent de prendre le contrôle du territoire. A l’appel du Conseil du pays, la nouvelle administration moldave, les troupes roumaines passent la frontière. Elles pénètrent à l’intérieur des campagnes, encadrées par un corps de l’armée française, diligenté par le général Foch, pour aider la Roumanie à combattre les bolcheviks. Le général Henri Berthelot, parfaitement oublié de l’histoire de France, entré dans la légende roumaine comme héros national dans la guerre contre l’Autriche-Hongrie, conquiert le titre de parrain de la Grande Roumanie, qui décernera son nom à une grande rue. Le 6 janvier 1918, l’indépendance est votée et officialise la République démocratique moldave de Bessarabie. Rien n’est fini pour autant. » p.59

« La mort de Lénine signe la fin de la NEP et le début des malheurs paysans. Staline nationalise bientôt l’ensemble de l’économie. Les paysans sont inquiets. Ils peuvent l’être, en Ukraine tout particulièrement. Le premier plan quinquennal initié en 1928 engage un vaste programme de dékoulakisation. Dékoulakiser, c’est d’abord s’en prendre aux paysans propriétaires, même de modestes lopins, y compris ceux qui ont été encouragés dans la petite initiative privée par le régime léniniste. En Union soviétique et singulièrement en Ukraine, quatre-vingt-dix pour cent des paysans possèdent, par famille, moins de trois vaches et des lopins de moins de cinq hectares. C’est pour l’essentiel en vue de leur autosuffisance qu’ils exploitent leurs biens. Leur proposer la collectivisation des terres, c’est comme leur suggérer de revenir à l’époque féodale et de redevenir serfs. Ni la ferme collective-le kolkhoze, ni la ferme d’Etat – le sovkhose – ne recueillent leurs suffrages. » p.121

Critiques

« Exercice littéraire virtuose ? Brillant essai d’historienne ? Autofiction déguisée ? L’entêtant récit de Sandrine Treiner est tout cela à la fois. Ou comment raconter la vie d’une femme admirable mais anonyme, ayant réellement existé, et dont il ne reste rien… Elle voudrait lui redonner vie, elle qui redoute l’oubli. «J’ai toujours craint de disparaître de la vie des gens qui me sont proches», murmure Sandrine Treiner à la fin du livre. » Fabienne Pascaud, Télérama, 18/12/2013

 « Remontant aux pogroms de Kichinev du début du XXe siècle, l’auteur recompose, à travers l’histoire singulière d’une femme anonyme séduite après 1917 par le communisme, la mémoire des Juifs de l’ex-Bessarabie, pris entre ordres roumains et soviétiques, puis subissant le joug nazi…
Elle berce sa quête que l’on devine très personnelle de la musique d’autres livres, ceux de Patrick Modiano, de Cholem Aleikhem ou d’Isaac Babel, et ajoute sa voix attentive et douce à celle des chiens odessites de la légende, qui hurlent la nuit la disparition des Juifs de la mer Noire. »
Sabine Audrerie, La Croix, 4/12/2013

« Il arrive – chose rare et heureuse – que les livres réparent. C’est parce que  » l’idée d’une tombe sans nom  » lui déplaît que Sandrine Treiner, historienne de formation, responsable éditoriale à France Culture, s’embarque sur les traces d’une disparue, une jeune juive communiste des années 1920…
L’enquête de Sandrine Treiner est écrite à la première personne, façon écrivain-voyageur. S’il tient, en partie, du roman, ce livre singulier est surtout une réflexion sur la fragilité des traces, sur la grandeur du parti pris – au sens où Germaine Tillion entendait ce terme -, sur l’utilité de l’histoire. Mais c’est au travail de couturière, celui de son héroïne-fantôme, que l’effort de l’auteure s’apparente le plus : à partir de bribes de mémoire familiale, le récit se met, comme la machine d’un atelier, à recoudre, à repriser, à reconstituer ce qui peut l’être. A réparer, en somme. Jusqu’à sortir Manya Schwartzman de la nuit.»
Catherine Simon, Le Monde, 28/11/2013

« « Que peut-on connaître de quelqu’un dont on ne sait rien ?» s’interroge Sandrine Treiner, historienne et directrice adjointe de France Culture. Fascinée par ce destin anonyme «qui a moins de réalité qu’un personnage de roman», elle a décidé de raconter l’histoire de cette femme : «Manya Schwartzman refusait la soumission, la méfiance, la peur, la lâcheté, l’ignorance, la bêtise, la violence et c’est pourquoi il faut une tombe à son nom.» Ce n’est pas simple, pourtant, de retrouver les éléments d’une vie, d’imaginer les révoltes, les rêves et le destin fracassé d’une jeune ouvrière juive de Kichinev…
L’exercice est une gageure, surtout après des chefs-d’œuvre comme
Dora Bruder, de Patrick Modiano, ou les Disparus, de Daniel Mendelsohn. L’auteure le reconnaît volontiers mais tient le pari dans un livre aussi émouvant qu’inclassable. »  Marc Semo, Libération, 7/11/2013