Discours de la fille de l’auteur venue représenter Philippe Sands à l’occasion de la remise du Prix du livre européen 2018
« Je suis honorée d’être parmi vous ce soir, afin de recevoir au nom de mon père le Prix Spécial du Jury. Il n’a pas pu être avec nous ce soir, car il s’était engagé de longue date à donner une conférence à Genève, à l’occasion du 70ème anniversaire de la signature de la Convention contre le Génocide et de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Il m’a demandé de vous partager ces quelques mots de remerciements. Je cite :
« Je suis profondément flatté que le Jury distingue Retour à Lemberg de cette manière.
East West Street, Retour à Lemberg en français, est un livre Européen par excellence. Il a été traduit en quatorze langues européennes différentes. C’est l’histoire de quatre hommes, deux crimes, et une ville.
La ville, c’est la remarquable, magnifique, et complexe Lviv, aujourd’hui située en Ukraine. Elle est connue sous le nom de Lwow en Pologne; Lemberg en Autriche ou en Allemagne; et Leopolis, en Italie. Josef Wittlin, le talentueux poète polonais, appelait sa ville de naissance la Cité des Lions.
« L’essence du Lvovien, écrit-il, est l’extraordinaire mélange de noblesse et de canaille, de sagesse et d’imbécilité, de poésie et de vulgarité. »
Nées à Lviv, les histoires se déploient en Europe par plusieurs chemins.
C’est l’histoire de mon grand-père Leon Buchholz. L’histoire Du Professeur Hersch Lauterpacht et le Dr Rafael Lemkin sont les hommes, qui en 1945 ont introduit en droit international les concepts de « crime contre l’humanité » et de « génocide ». Et puis il y a Hans Frank, avocat, mari, père, amant, pianiste; et tueur de masse.
Les histoires passent par Vienne, puis Paris, Cambridge et Londres, et puis Varsovie et Cracovie, et enfin Nuremberg, et puis une simple pièce, la chambre criminelle n°600, ou trois de ces hommes se réunirent de manière improbable.
Retour à Lemberg a été publié alors que coule dans les veines de l’Europe et d’ailleurs le poison de la xénophobie et du nationalisme.
Retour à Lemberg est un livre qui parle de la mémoire et du silence. Il a été publié à l’heure où la génération qui a connu les horreurs des années 30, la génération qui a vécu la Deuxième Guerre Mondiale, la génération qui se souvient des raisons qui ont poussé les Etats à se rassembler pour créer les Nations Unies, pour adopter la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et la Convention de Genève, et pour créer la Communauté Economique Européenne, cette génération s’apprête à s’éteindre.
Retour à Lemberg est, avant tout, un livre sur l’identité. Son auteur s’identifie lui-même en tant qu’individu, et qu’Européen.
Il est impossible, en ayant vécu l’expérience d’écrire Retour à Lemberg, cette immersion dans l’Europe de 1914 à 1945, de ne pas ressentir une anxiété aigüe à propos de ce qu’il se trame aujourd’hui.
Je remercie le Jury de rendre hommage à ceux qui, en 1945, croyaient en l’idéal de la règle et de l’Etat de droit, en Europe et dans le monde, et à ceux qui continuent d’y croire aujourd’hui, et se battront pour le défendre. »
Si je peux me permette, en tant que membre de la prochaine génération d’Européens, je peux vous assurer de notre engagement à promouvoir les idéaux et les valeurs de Lauterpacht, Lemkin et bien d’autres. Pour l’intégration et l’équité, contre toutes les formes de discrimination et de haine. Au nom de mon père et mes arrière-grands-parents, je vous remercie beaucoup. »